Interview de Romain Schneider avec le Quotidien

"Nous devons faire en sorte d'assurer une trajectoire financière soutenable à moyen et long termes (...)"

Interview: Le Quotidien (Geneviève Montaigu)

Le Quotidien: À partir du moment où les actifs cotisent pour les retraités et que le système leur assure qu'une fois eux-mêmes retraités ce seront les nouveaux actifs qui cotiseront pour leurs retraites, nous sommes dans un système de Ponzi (ou Madoff), affirment les plus alarmistes, car il peut s'écrouler à terme. Mais vous ne semblez pas être d'accord avec cette comparaison. Pourquoi?

Romain Schneider: Cela fait plus de 20 ans que le président de la caisse nationale d'assurance pension (CNAP), Robert Kieffer, fait ce genre de remarques qui sont d'ailleurs ses remarques personnelles. Notre système de sécurité sociale est un système de financement par répartition qui n'est pas comparable à un système frauduleux. Il est basé sur la solidarité, c'est-à-dire que les recettes de cotisations actuelles couvrent les dépenses de prestations courantes. Spécifiquement en ce qui concerne les régimes de pensions du secteur privé, le taux de cotisation et fixé par la loi à 24 pour cent du salaire cotisable, avec une réserve légale de 1,5 fois des dépenses annuelles. L'inspection générale de la sécurité sociale établit tous les cinq ans un bilan actuariel afin de vérifier la soutenabilité financière du régime. Ce système de financement introduit par Bismarck au début du siècle passé n'a rien à voir avec un système de financement frauduleux qui a pour objet de rémunérer les investissements des clients essentiellement par les fonds procurés par les nouveaux entrants dans le seul but de procurer des avoirs douteux à leurs initiateurs.

Le Quotidien: N'empêche que cela effraie les jeunes générations...

Romain Schneider: Actuellement, il n'y a pas lieu de paniquer. La réforme de 2012 s'est basée sur un taux de croissance de l'emploi de 1,5% et ce paramètre est largement rempli quand je regarde les derniers chiffres qui nous indiquent une croissance de l'emploi de 2,7%. Si tous les autres volets de la sécurité sociale présentaient une telle réserve que les pensions, nous serions heureux. Concrètement, il faut retenir que notre réserve s'élève à 15 milliards d'euros et je crois que les 27 autres pays européens seraient contents d'avoir cette réserve.

Le Quotidien: Finalement, la première évaluation de la réforme des pensions de 2012 par l'inspection générale de la sécurité sociale est avancée d'un an et se fera en 2016. Y-at-il urgence à disposer d'une nouvelle étude sur la situation financière du système à moyen terme pour prendre plus rapidement d'autres mesures d'assainissement financier?

Romain Schneider: Non, il n'y a pas urgence et actuellement, la réserve du régime de pension du secteur privé dépasse de quatre fois les dépenses annuelles et, selon les scénarios retenus, cette réserve sera disponible au moins jusqu'à l'horizon 2040 et on parle même de 2060. Or il s'avère qu'un bilan tel que prévu par la loi seulement en 2017 ne permettrait point au gouvernement de discuter la soutenabilité financière et de mettre en place d'éventuelles adaptations encore sous la législature actuelle. Je suis pourtant confiant que le bilan de l'inspection générale de la sécurité sociale va nous confirmer, j'en suis sûr, que la réforme entamée en 2012 a eu les impacts escomptés et qu'il n'est point besoin de procéder à des adaptations à ce stade. C'est mon opinion personnelle.

Le Quotidien: Pour que le système actuel des retraites reste viable, il faudrait que la population active double tous les 3o ou 4o ans. Est-ce une croissance de l'emploi que le Luxembourg peut raisonnablement espérer, d'une part, et absorber, d'autre part?

Romain Schneider: Je n'ai pas de boule de cristal, mais actuellement la tendance est à la hausse. Le ministre de l'Économie l'a dit, le Luxembourg est sorti de la crise économique, nous voyons une création d'emplois massive, une augmentation du PIB et du PNB qui sont autant de facteurs positifs qui engendrent des cotisations pour l'assurance maladie et maternité et pour l'assurance pension. Nous avons plus de 400.000 emplois actuellement et si le rythme de croissance se maintient, il faudra que les infrastructures suivent. Le Luxembourg a réussi dans le passé à absorber ces croissances et vu la densité du pays, en comparaison avec d'autres métropoles, il y a une marge de manoeuvre suffisante. Bien entendu, une telle approche demande une stratégie bien réfléchie et une planification conséquente, ainsi que des investissements appropriés.

Le Quotidien: Soixante-quinze pour cent du nombre total de nouvelles pensions sont octroyés à des gens qui n'ont pas atteint l'âge légal de 65 ans. Malgré la réforme, il est toujours possible d'être retraité à 57 ans ou 6o ans. Est-ce viable alors que le Luxembourg devrait connaître la plus forte augmentation des dépenses en matière de retraite de tous les pays de PUE?

Romain Schneider: À ce sujet, il est important de rappeler les conditions d'une pension de vieillesse. Peut partir en retraite à l'âge de 57 ans toute personne qui a cotisé au moins sur une période de 40 années. Lors de la réforme en 2012, un consensus s'était dégagé pour maintenir cette option pour tenir compte de la pénibilité du travail et pour récompenser ceux qui ont participé activement par une carrière professionnelle et des cotisations sur un revenu d'une activité salariale de 40 années et plus. Peuvent partir à l'âge de 60 ans les assurés qui disposent d'au moins 40 années au total des années de cotisations et des années de formation ou d'éducation. Changer ce principe voudrait dire ne plus valoriser les périodes complémentaires et ne donnant pas lieu à des cotisations sociales pour accorder la pension de vieillesse anticipée, et d'appliquer un principe identique à celui de la pension anticipée à 57 ans pour fixer le début de la pension. Nous avons fait des réformes pour le reclassement et nous avons aboli la préretraite -solidarité pour augmenter l'âge effectif de départ à la retraite qui se situe au Luxembourg à un peu plus de 58 ans.

Le Quotidien: Les titulaires de poste ne devraient travailler que trois ans de plus pour bénéficier des mêmes prestations. Les incitations prévues par la réforme ne sont pas suffisantes pour convaincre les personnes de travailler plus longtemps que le minimum requis. Comment voulez-vous fournir des incitations supplémentaires ou permettre une transition plus progressive vers la retraite?

Romain Schneider: Il y a lieu d'attendre le bilan de l'inspection générale de la sécurité sociale afin de se prononcer sur l'impact des mesures incitatives introduites par la réforme de, 2012. Entre autres, elle a introduit une mesure permettant aux assurés de continuer partiellement leur activité professionnelle tout en bénéficiant d'une pension sans pour autant que celle-ci soit d'office réduite de moitié. Les premières évaluations semblent indiquer un certain succès de la mesure permettant ainsi une transition plus progressive entre vie professionnelle et retraite. Aussi, les incitatifs en vue de prolongation de la carrière professionnelle ne sont introduits que progressivement, et à ce stade, il est dès lors hasardeux de se prononcer sur cette mesure spécifique, qui prévoit une adaptation du taux de remplacement à une longévité de trois années sur une période de 40 ans. Mais c'est une mesure qui permet à un "ancien" de jouer le rôle de parrain pour un autre salarié qui entre en fonction. Tout le monde est gagnant, sachant aussi que c'est une meilleure approche du départ à là retraite, car on s'y prépare psychologiquement et en douceur. Il s'agit de ne pas oublier la dimension humaine de cette mesure.

Le Quotidien: Le système de retraite aux Pays-Bas est le seul à cumuler un bon niveau de pension du système public avec des compléments apportés par des fonds de pension par branche professionnelle. Est-ce l'exemple à suivre? Comment comptez-vous améliorer la réglementation des pensions complémentaires?

Romain Schneider: Le système de retraite des Pays-Bas et plus particulièrement le deuxième pilier, basé sur les marchés financiers, a dû affronter des pertes au cours de la crise financière susceptibles de ne plus couvrir les promesses de pension. De même, en vue des taux d'intérêt d'application actuellement, le rendement de ces systèmes basés essentiellement sur le rendement financier risque de ne pas procurer suffisamment de ressources propres aux assurés une fois qu'ils passent à l'âge de la retraite, avec comme conséquence la pauvreté des personnes âgées. Ainsi, le gouvernement maintient son engagement pour un pilier fort basé sur la répartition et un financement par cotisations sociales. Or il s'avère pourtant que le régime de pensions complémentaires tel qu'introduit en 1999 nécessite une révision, surtout en ce qui concerne le champ d'application pour les indépendants et les salariés ne bénéficiant pas d'un régime mis à leur disposition par l'employeur. Nous étudions actuellement les modèles qui existent pour finaliser le projet de loi que j'espère présenter au début de l'année 2016.

Le Quotidien: L'autre urgence à laquelle vous devez répondre concerne l'assurance dépendance ou des soins de longue durée dont la réserve devrait tomber au-dessous du minimum légal de 10% des dépenses. Comment réformer le système afin d'améliorer, entre autres, le rapport coût-efficacité?

Romain Schneider: Cela fait plusieurs mois que j'entends parler d'urgence, mais je n'en vois pas, car cette réforme a été prévue dans le programme gouvernemental. Nous allons la faire de manière à ce qu'elle entre en vigueur le 1er janvier 2017. Le bilan sur le fonctionnement et la viabilité financière de l'assurance dépendance de l'inspection générale de la sécurité sociale de 2013 dégage que le financement de l'assurance dépendance atteindra effectivement ses limites et qu'il convient d'élaborer des propositions de réforme. Je peux vous dire que j'ai vu tous les acteurs et quand j'entends qu'il n'y a pas de dialogue avec le gouvernement, je sais que c'est faux. Je reverrai tous les acteurs avant le 15 septembre pour entendre leurs conclusions et nous réfléchirons à la meilleure réforme. Le leitmotiv est de consolider le secteur, aussi bien au niveau du maintien à domicile qu'au niveau des soins stationnaires, afin d'assurer le niveau de l'emploi et de la disponibilité des services, en introduisant des outils de monitoring pour permettre de suivre de près le rapport coût-efficacité, dans le but d'une meilleure maîtrise de l'évolution des coûts, d'employer de façon optimale les ressources disponibles et d'assurer la qualité des services. Nous verrons si la cotisation de 1,4% est toujours valable et si la participation de l'État de 40% l'est aussi. Nous devons faire en sorte d'assurer une trajectoire financière soutenable à moyen et long termes et d'assurer que la croissance des dépenses de prestations ne dépasse pas celle des recettes de cotisations.

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