"Notre système de pensions ne doit pas rester figé". Mars Di Bartolomeo au sujet du système de pensions

Frédérique Moser: Monsieur Di Bartolomeo, pour pallier les effets financiers de la crise et assurer l'équilibre des finances publiques, un effort sera demandé à tous les partenaires de la Tripartite. Quelles seront vos propositions, au titre de la Sécurité sociale?

Mars Di Bartolomeo: Il faut faire la différence entre ce qui sera traité prioritairement en Tripartite, c'est-à-dire l'emploi, la compétitivité, les finances publiques, et les discussions qui ont été lancées avant même la crise. Pour ce qui concerne les pensions, le volet le plus important de la Sécurité sociale, en termes de poids financier, c'est la Tripartite précédente qui a lancé les débats. Un groupe de travail se réunit depuis 2007 et plusieurs pistes ont été présentées l'été dernier. Certaines d'entre elles ont été retenues dans l'accord gouvernemental. En janvier, j'ai donc lancé le débat sur la réforme de l'assurance pension. Des discussions vont avoir lieu avec les partenaires sociaux et je vais présenter un avant-projet de loi d'ici la fin de l'automne. Cette discussion est lancée et la Tripartite actuelle n'a donc pas besoin de se préoccuper de ce dossier.

Frédérique Moser: Le ministre des Finances a prévu, dans son programme de stabilité, que la Sécurité sociale pourrait générer un excédent de quelque 1.200 millions d'euros d'ici 2014. Est-ce également votre objectif?

Mars Di Bartolomeo: Je ne pense pas que ces chiffres aient été retenus par le gouvernement. Il est toujours possible de se fixer des objectifs, encore faut-il que l'on discute avec ceux qui devraient produire ces chiffres... ou les réaliser. A politique constante, je ne vois pas de décisions à l'heure actuelle qui pourraient argumenter le chiffre qui a circulé. Je pars du principe que ceux que j'ai annoncés jusqu'à présent sont les chiffres qui valent. Si on part de chiffres plus avantageux, il faudrait préciser: a-t-on l'intention d'augmenter les cotisations ou de réduire les prestations? Pour l'instant, aucune de ces pistes n'a été ni présentée, ni discutée avec les partenaires sociaux.

Frédérique Moser: Vous attendez-vous à voir modifier votre feuille de route et avez-vous discuté de cette possibilité avec Luc Frieden?

Mars Di Bartolomeo: J'ai toujours des discussions avec M. Frieden, il n'y a pas de guéguerre entre nous! Je pense que les services du ministre des Finances ont procédé par déductions; or, moi, je préfère procéder par mesures concrètes.

Frédérique Moser: Vous gardez donc votre cap, pour maintenir l'objectif d'un excédent annuel de 900 millions d'euros?

Mars Di Bartolomeo: Il s'agit de procéder par étapes. Je constate que les différents risques de la Sécurité sociale présentent des situations divergentes. Nous sommes en train de réformer l'assurance accidents, pour une entrée en vigueur des textes au ler1 er janvier 2011. Cela permettra une consolidation du système et le rapprochement avec le droit commun. Nous opérerons notamment un 'switch' entre les dégâts qui étaient mal indemnisés et ceux qui l'étaient pour rien. Les cotisations pourront rester stables et pour certaines entreprises à hauts risques, les cotisations pourraient même diminuer, par le biais d'une augmentation de la solidarité entre entreprises. L'effet financier sera plutôt neutre, sinon positif pour certaines. Pour ce qui est de l'assurance dépendance, elle est actuellement en suréquilibre et génère des réserves de l'ordre de 50 millions d'euros par an. Dans ce domaine, il s'agira surtout de travailler sur la bonne utilisation des moyens et l'amélioration de la qualité. Donc, pas de problèmes majeurs à attendre d'ici la fin de la législature. En ce qui concerne l'assurance maladie, nous voulons rétablir les équilibres dès 2011. Mais il ne faut pas s'attendre à ce que cette branche produise des plus-values.

Frédérique Moser: Comment comptez-vous obtenir ces rééquilibrages?

Mars Di Bartolomeo: Par des mesures qui font appel à la responsabilité de tous les acteurs. Il n'y aura pas de mesures unilatérales, mais un ensemble de mesures concrètes qui ne mettront personne devant des problèmes majeurs. Le temps est venu d'évaluer l'ancienne législation et de procéder à certaines modifications, dans l'intérêt notamment d'une meilleure 'pilotabilité' du système.

Frédérique Moser: Le quatrième risque, le plus sensible, est celui de l'assurance pension...

Mars Di Bartolomeo: Le système, aujourd'hui, se porte bien, avec des réserves énormes, de l'ordre de 10 milliards d'euros, soit 3,6 fois les dépenses annuelles. Une situation qui est donc saine, avec des réserves de 800 à 900 millions générées chaque année. L'état des lieux actuel, avec une assurance maladie remise à l'équilibre et les autres risques stables, permet de partir sur un 'suréquilibre' de la Sécurité sociale de l'ordre de 900 millions à 1 milliard par an. Il s'agit là de résultats que l'on peut garantir à politique constante et je n'ai pas eu vent de mesures incisives qui auraient comme résultat une situation nettement meilleure. Un suréquilibre d'une telle envergure est déjà assez exceptionnel.

Frédérique Moser: Comment les réserves sont-elles gérées?

Mars Di Bartolomeo: Par le fonds de compensation, encore une émanation de la gestion tripartite. Les gestionnaires de ce fonds ont eu comme mission, en 1999, un meilleur placement des réserves, avec un risque limité.

Frédérique Moser: Vous n'auriez subi aucune perte ces deux dernières années?

Mars Di Bartolomeo: Nous avions subi des pertes théoriques, à un moment où les cours des actions avaient chuté d'une manière spectaculaire, mais depuis lors, nous sommes à nouveau dans le bonus.

Frédérique Moser: Où les avoirs de la Sécurité sociale sont-ils placés et sous quelle forme?

Mars Di Bartolomeo: Ils sont placés au Luxembourg... mais également sur d'autres places. Ils sont gérés comme le sont habituellement ce type de fonds de réserves; des placements différenciés, sous forme monétaire, d'actions, d'obligations et aussi dans le long terme, notamment dans l'immobilier. La caisse de pension a un parc immobilier assez considérable, qui n'est même pas considéré dans le montant généralement pris en compte (10 milliards). La réserve réelle est donc encore plus élevée qu'elle n'en a l'air...

Frédérique Moser: Dans ce contexte, vous n'avez donc aucune envie de voir imposer des mesures d'économie aux différents régimes de la Sécurité sociale?

Mars Di Bartolomeo: Je ne dirais pas cela. Une bonne - voire une meilleure - utilisation des moyens doit toujours rester de mise. Mais cela ne veut pas forcément dire coupures unilatérales.

Frédérique Moser: Parmi vos pistes pour pérenniser le système de pensions, vous avez préconisé le principe des 40 années de cotisations...

Mars Di Bartolomeo: J'ai proposé que la règle générale des carrières professionnelles soit celle des 40 années de cotisations, dans une démarche qui lie longévité et carrière. Il est évident que l'accroissement de l'espérance de vie ne peut être neutre pour nos régimes de pension. Bien entendu, il faudra tenir compte de la pénibilité du travail et des situations exceptionnelles (formations, etc.), sans pour autant brader les périodes de remplacement. D'autres principes seront à la base de cette réforme, qui prévoit une évolution allant de la promesse du taux de remplacement vers la prise en compte de critères objectifs pour le calcul futur des pensions: situation économique, marché de l'emploi, rapport pensionnés/actifs... Au lieu de vouloir prédire la situation dans 30, 40 ou 50 ans - avec une boule de cristal? - nous allons développer un modèle non figé, qui permettra des adaptations selon des critères objectifs. Mais il ne s'agit pas de remettre en cause les grands principes, tels que le système par répartition, le financement tripartite, les droits engrangés...

Frédérique Moser: Vous envisagez également de favoriser le cumul pension-activité professionnelle...

Mars Di Bartolomeo: Pour l'instant, le système est assez défavorable. Les retraités ne peuvent, jusqu'à l'âge de 65 ans, cumuler qu'un revenu très modeste - 500 euros environ - avec leur pension. Je crois qu'un modèle de combinaison entre vie active et retraite partielle devra être avantagé, avec des modèles plus flexibles. Une personne qui souhaite travailler jusqu'à sa mort, parce que son activité lui donne de très grandes satisfactions, doit pouvoir le faire. Mais cela varie énormément d'une personne à l'autre, d'un métier à l'autre. Ce qui est clair, c'est que les employeurs qui réclament de maintenir les personnes plus longtemps dans l'emploi, pour augmenter la durée des cotisations, doivent être cohérents et ne pas agir d'un autre côté pour les décourager et les 'faire sortir', sous prétexte qu'elles seraient mieux payées et moins productives. Tous ceux qui veulent cette réforme - et je pense que l'unanimité existe sur sa nécessité - doivent avoir le courage de la suivre. On ne peut pas la réclamer, sans rien vouloir changer dans les pratiques actuelles. Pour les employeurs, il s'agit de la principale mesure par laquelle ils peuvent aider à pérenniser nos systèmes de pension, en favorisant l'emploi des travailleurs plus âgés. Pour les partis politiques, il s'agit de prendre la responsabilité d'admettre que si le nombre de pensionnés double d'ici 30 ans, les paramètres vont changer. Il faudra travailler plus longtemps, aménager les promesses, augmenter les cotisations ou encore tout faire pour doubler, voire tripler l'emploi au Luxembourg... Il faudra faire des choix... et parler franc!

Frédérique Moser: En ce qui concerne le secteur hospitalier, toutes les réformes en cours visent une meilleure transparence. Pourquoi le système est-il opaque?

Mars Di Bartolomeo: Il n'est pas opaque, il a besoin de plus de transparence. La qualité est bonne, reconnue, mais les systèmes de documentation de l'activité hospitalière sont lacunaires. Nous allons procéder sous peu à la définition d'un système de codification, pour suivre plus exactement ce qui se passe de bien, et ce qui reste à améliorer, dans ce secteur. Nous allons passer à une comptabilité analytique et adopter une documentation du 'full cosf, pour pouvoir comparer les coûts dans les différents établissements hospitaliers et devenir un acteur sur le plan transfrontalier. Nous avons besoin de cette transparence des coûts pour facturer les activités. Le second aspect sur lequel nous travaillons, alors que le secteur a été consolidé et modernisé en profondeur, c'est de veiller à éviter que tous les hôpitaux fassent la même chose. Nous sommes en route vers la création de centres de compétences et de centres d'excellence. Cela n'est possible que si le secteur hospitalier travaille ensemble et abandonne le principe du 'chacun pour soi. Si le Luxembourg rate le coche, nous assisterons à une hémorragie de patients vers l'étranger, où l'on a opté pour une meilleure visibilité des spécialités des établissements. Même si nos hôpitaux sont très performants, personne ne pourra jamais me convaincre que le Luxembourg est le seul pays au monde où chacun peut faire tout... et mieux que les autres!

Frédérique Moser: Les difficultés ne viennent-elles pas aussi de la variété des modes de gestion des hôpitaux (fondations, communes... )?

Mars Di Bartolomeo: Il faut garder ceci en tête: le Luxembourg est le seul pays où l'Etat - donc la communauté des citoyens - est actionnaire à quasiment 100% du monde hospitalier. Les investissements sont couverts à 80% par le budget de l'Etat et les 20% restants par la Caisse Nationale de Santé. L'actionnaire principal, ce sont les assurés. N'allez pas me dire que la variété des structures porteuses engendre des difficultés d'organisation! Je le dis d'une manière claire et nette: les actionnaires principaux exigent des hôpitaux luxembourgeois qu'ils travaillent ensemble et qu'ils effectuent un partage du travail. Sinon, les actionnaires qui ne se retrouvent pas dans l'organisation du système réfléchiront à leurs participations... Si quelqu'un veut décider tout seul de ce qu'il entend faire, alors il devra prendre plus de risques à l'avenir. Il est impossible de revendiquer un financement public à 100% et une prise de décision privée à 100%. Ça ne va pas... et ça n'ira plus.

Frédérique Moser: Envisagez-vous la création d'une structure faîtière?

Mars Di Bartolomeo: Nous réfléchissons à tous les aspects. Ce qui est encourageant, c'est que les hôpitaux entrevoient la plus-value de regrouper certaines fonctions qui ne touchent pas au médical. Par exemple les laboratoires, l'informatique, la pharmacie, les achats... Une évolution se fait et la prochaine étape sera le partage du travail médical. Des établissements pourront se spécialiser dans certains types de cancer, en neurochirurgie, en gériatrie...

Frédérique Moser: Sur quels atouts le pôle Luxembourg peut-il miser dans la Grande Région?

Mars Di Bartolomeo: Il existe déjà des spécialisations avec lesquelles le Luxembourg peut très facilement se positionner dans la Grande Région, comme la chirurgie cardiaque, la radiothérapie, la chirurgie de la main, certains domaines de l'oncologie... Mais il faut pour cela que les flux n'aillent plus à sens unique. Les patients migrent très facilement vers les hôpitaux étrangers (17.000 transferts par an, ce qui reste marginal, en volume, ndlr), tandis que le reflux est extrêmement faible.

Frédérique Moser: A quoi ce phénomène est-il dû?

Mars Di Bartolomeo: Les obstacles sont liés au système de tarification - d'une façon générale, les coûts restent plus élevés au Luxembourg - et au manque de visibilité. Les patients voient très facilement quel établissement étranger est spécialisé en quoi. Au Luxembourg, tout reste opaque, aucune spécialité n'est correctement mise en valeur. Si nous voulons être un acteur dans la Grande Région, il faut une tarification concurrentielle et transparente ainsi que de nouveaux accords de coopération bilatéraux.

Frédérique Moser: A quel moment le 'dossier patient électronique' sera-t-il mis en place?

Mars Di Bartolomeo: Cette question est à l'ordre du jour dans quasiment tous les pays européens. Mais cela ne se fera pas du jour au lendemain. Au Luxembourg, nous avons adopté une démarche très progressive. Nous aurons bientôt la base légale pour définir le contenu du dossier. Le ministère travaille avec le CRP Henri Tudor sur plusieurs aspects, notamment des bases de données communes pour l'imagerie médicale et les analyses médicales. La prochaine étape, ce sera la prescription électronique. Nous aurons alors les principaux éléments et je crois que d'ici la fin de la législature, nous aurons singulièrement avancé sur ce dossier. Mais il ne faut pas brûler les étapes et rester très attentifs à des éléments prioritaires, comme la protection des données. Le scénario catastrophe, ce serait qu'un dossier puisse être consulté par des gens qui n'ont rien à voir avec son contenu, par exemple un employeur qui cherche des informations sur un futur collaborateur!

Frédérique Moser: Autre dossier clé en matière de santé publique: la législation sur le tabagisme. Le projet d'interdire la consommation de tabac dans les cafés et brasseries, alors qu'elle reste théoriquement possible dans les entreprises, n'aboutit-il pas à un cadre légal boiteux?

Mars Di Bartolomeo: La loi de 2005 a apporté des résultats impressionnants: de 2004 à 2010, la part des fumeurs dans la population est passée de plus de 30% à 24%. Cette loi a apporté un progrès énorme et son acceptation dépasse les 90%. Il reste toutefois des domaines où la loi n'est pas assez incisive, comme le lieu du travail. Certes, il est pris en considération dans les textes, car l'employeur a une obligation de résultats pour protéger les non-fumeurs. Si cela n'avait tenu qu'à moi, le tabac aurait été banni de l'entreprise dès 2005. Mais mon collègue ministre du Travail (François ßiltgen, ndlr.) avait insisté pour que dans une première phase, ce soit libellé d'une façon moins incisive. Le prochain pas, ce sera une extension de la protection des non-fumeurs dans tous les lieux fréquentés par le public; les cafés, les discothèques, les taxis... Donc également dans les entreprises, qui deviendront des lieux 'sans tabac. Le projet de loi sera déposé dans les tout prochains mois. Même s'il reste quelques divergences de vue parmi les membres du gouvernement, j'ai toute la légitimité derrière moi, dans le programme gouvernemental, pour mettre en œuvre le plan anti-tabac dans sa globalité.

Frédérique Moser: De nouvelles hausses des accises sur le tabac sont-elles envisagées?

Mars Di Bartolomeo: Personnellement, je suis pour un prix le plus élevé possible. Mais ce n'est pas moi qui le fixe. Je crois néanmoins, en tant que ministre responsable de la santé publique, que si vous voulez protéger les gens, et en particulier les plus jeunes, il faut agir à ce niveau-là. C'est d'ailleurs de cette façon que nous sommes parvenus à faire disparaître les alcopops. D'une façon générale, nous devons veiller à enrayer les abus de toutes sortes. La discussion sur l'alcool ne fait que commencer! Je ne pars pas dans des croisades contre les uns ou les autres, je ne veux pas faire de la prohibition... Mais je crois qu'il est de mon devoir, sur ces dossiers-là, d'avoir une véritable approche santé.

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